Alors ses genoux fléchirent, et elle entraîna Horza dans sa chute : ses muscles se détendirent mais le gant immobilisateur, lui, demeura fixe. Horza remit son épaule en place et tira en tordant le bras ; les filaments-champ du gant cédèrent en lui laissant les poignets meurtris ; déjà les contusions apparaissaient. La femme gisait sur le dos, les yeux clos, le souffle court. Horza songea qu’il avait dû, en la griffant, lui inoculer un poison non mortel ; quoi qu’il en fût, il n’avait pas le temps de s’en assurer. On viendrait sans tarder s’enquérir de la femme-garde, et il ne pouvait se permettre de laisser trop d’avance à Kraiklyn. Que celui-ci regagnât son vaisseau, ainsi que l’espérait Horza, ou qu’il restât pour assister au jeu, le Métamorphe tenait à ne pas le quitter d’une semelle.

Sa capuche avait glissé pendant l’incident. Il la rabattit sur ses yeux, puis releva la femme et la traîna jusqu’au bar ; là, il l’installa sur un tabouret, non loin des deux ivrognes, en lui croisant les bras sur le comptoir et en lui posant la tête dessus.

Le buveur témoin de toute la scène sourit au Métamorphe, qui s’efforça de lui rendre sa politesse.

— À vous de prendre soin d’elle, maintenant. (Il aperçut un manteau au pied du tabouret de l’autre ivrogne et, souriant à son propriétaire – trop occupé à se commander à boire pour remarquer quoi que ce soit –, en enveloppa la femme-garde afin de dissimuler son uniforme.) Il ne faut pas qu’elle attrape froid, ajouta-t-il à l’intention du premier homme, qui hocha la tête.

Horza s’éloigna discrètement. Le second ivrogne, qui n’avait encore rien vu, prit le verre qui venait de se matérialiser dans une ouverture du comptoir et, se retournant pour parler à son compagnon, découvrit la femme vautrée ; il lui donna un petit coup de coude et dit :

— Hé ! Il vous plaît, mon manteau ? Et si je vous offrais un verre, hein ?

Avant de quitter l’auditorium, Horza leva la tête. Les animaux de combat ne combattraient plus jamais. Sous la boucle radieuse que dessinait la face opposée – et pour l’instant diurne – de Vavatch, l’une des deux bêtes gisait sur le filet de sécurité, très haut, dans une petite mare de sang laiteux ; les quatre membres de son grand corps formaient un X au-dessus de la scène qui se déroulait dans l’arène. Sa fourrure sombre et sa grosse tête étaient toutes balafrées, toutes mouchetées de blanc. Quant à l’autre créature, elle se balançait doucement à son trapèze ; toute dégouttante de sang, elle tournait lentement sur elle-même, suspendue par une griffe refermée sur la barre, aussi morte que son adversaire déchu.

Horza fouilla dans ses souvenirs, mais en vain : il n’arrivait pas à se rappeler le nom de ces étranges animaux. Il secoua la tête et s’empressa de poursuivre son chemin.

 

Il déboucha sur l’aire des Joueurs. Un Ishlorsinami se tenait auprès d’une double porte, dans un couloir profondément enfoui sous la surface de l’arène. Il y avait là un petit attroupement. On posait bien quelques questions à l’Ishlorsinami, qui restait obstinément muet, mais pour l’essentiel, êtres vivants et machines s’entretenaient entre eux. Horza prit une profonde inspiration puis, agitant une de ses cartes-comptes négociables désormais inutiles, se fraya un chemin dans la foule en lançant :

— Sécurité ! Allez, allez, dégagez ! Sécurité !

Les gens protestèrent, mais obéirent. Horza vint se planter devant le grand Ishlorsinami dont le visage étroit, dur, et pourvu d’yeux à l’éclat d’acier s’inclina vers lui.

— Vous, là ! reprit Horza en claquant des doigts. Où est allé ce Joueur ? Le brun en combinaison une pièce ? (L’humanoïde hésita.) Alors, ça vient ? J’ai parcouru la moitié de la galaxie pour retrouver cet escroc à la carte-compte ! Pas question de le perdre maintenant !

L’Ishlorsinami eut un mouvement de tête en direction du couloir menant à l’entrée principale de l’arène.

— Il vient juste de partir.

Le son de sa voix évoquait deux tessons de verre frottés l’un contre l’autre. Horza grimaça, mais hocha rapidement la tête et, fendant une nouvelle fois la foule, partit en courant dans le couloir.

La cohue était encore plus dense dans le hall d’entrée du complexe. Vigiles, drones de sécurité montés sur roues, gardes du corps privés, chauffeurs, pilotes de navette, policiers municipaux… Des individus à l’air désespéré agitaient des cartes négociables ; d’autres répertoriaient ceux qui réservaient des places à bord des bus ou des survoleurs-navettes en direction de la zone portuaire. Il y avait aussi des individus qui traînaient en attendant de voir ce qui allait se passer, d’autres qui attendaient leur taxi, des gens qui erraient çà et là, perdus, les vêtements déchirés, tout en désordre, ou bien qui, souriants, pleins d’assurance, serraient contre eux divers sacs encombrants et étaient le plus souvent accompagnés de gardes particuliers… Tout ce petit monde allait et venait dans le vaste espace rempli d’agitation et de bruit qui s’étendait entre l’auditorium proprement dit et l’esplanade à ciel ouvert, éclairée par la vive clarté des étoiles et la ligne lumineuse de la face opposée de l’Orbitale.

Horza rabattit sa capuche encore plus bas sur ses yeux et franchit une haie de gardes ; bien que le tournoi fût à présent bien entamé et l’heure de la destruction toute proche, ceux-ci se souciaient surtout d’empêcher les gens d’entrer ; on ne fit donc pas attention à lui. Il survola du regard la mer de têtes, de capes, de casques, de coques et d’ornements divers qui s’étalait sous ses yeux et se demanda comment il allait bien pouvoir attraper Kraiklyn, voire seulement le repérer dans cette multitude. Un groupe de quadrupèdes en uniforme avançant en formation triangulaire passa à côté de lui et le bouscula ; au centre, sur une litière, se trouvait un dignitaire de haute taille. À peine remis du choc, Horza sentit qu’un pneu moelleux lui roulait sur le pied : un bar ambulant qui vantait sa marchandise.

— Puis-je vous servir un cocktail bol-drogue, monsieur ?

— Va te faire foutre ! lança Horza en faisant demi-tour pour suivre le triangle de quadrupèdes, qui se dirigeait vers la porte.

— Mais certainement, monsieur. Sec, médium ou… ?

Horza joua des coudes pour écarter la foule et rattraper les quadrupèdes. Il finit par y arriver et resta dans leur sillage afin de gagner les portes sans trop de mal.

Dehors, il faisait étonnamment froid. Horza vit son souffle se condenser devant sa bouche tandis qu’il tournait la tête en tous sens dans l’espoir de repérer Kraiklyn. La cohue était à peine moins nombreuse et chahuteuse dehors que dedans. On vendait à la criée des objets variés ou bien des billets pour le spectacle, on errait d’un pas chancelant, on demandait la charité aux étrangers, on faisait les poches, ou on sondait les cieux ou les vastes espaces dégagés qui s’ouvraient entre les immeubles. Des machines vrombissantes surgissaient en un flot ininterrompu du ciel ou des boulevards, s’arrêtaient, embarquaient un nouveau chargement et repartaient à toute allure.

Horza n’y voyait pas assez bien. Il remarqua tout à coup un gigantesque garde-à-louer : il mesurait dans les trois mètres de haut et, vêtu d’une volumineuse combinaison complétée par une arme de gros calibre, tournait vers la foule son large visage pâle dénué de toute expression.

— Vous êtes libre ? s’enquit Horza, qui fut obligé de se propulser pratiquement à la brasse pour traverser un groupe de gens attroupés autour d’un combat d’insectes.

— Libre je suis, tonna en retour une voix de stentor.

— Voici un Centième, répliqua vivement Horza en glissant une pièce dans la paume gantée du géant, où elle disparut complètement. Hissez-moi sur vos épaules, je cherche quelqu’un.

— D’accord, répondit l’autre après une seconde d’hésitation.

Il mit lentement un genou en terre et étendit le bras pour conserver son équilibre, la crosse de son fusil reposant sur le sol. Horza passa ses jambes autour du cou du monstre, qui se redressa sans qu’il lui ait rien demandé. Horza se retrouva d’un coup au-dessus des têtes. Il rajusta à nouveau sa capuche et scruta la masse d’individus, cherchant une silhouette en tenue une pièce légère, tout en sachant très bien que Kraiklyn avait pu se changer, voire quitter les lieux. Une crispation due à la désillusion et à l’énervement lui nouait le ventre. Il tenta bien de se dire que, s’il avait vraiment perdu Kraiklyn, cela n’avait pas tant d’importance, qu’il pouvait toujours regagner seul la zone portuaire et le VSG auquel la Turbulence Atmosphérique Claire était amarrée ; mais ses entrailles refusaient de se décontracter. Comme si l’atmosphère du jeu, l’excitation qui régnait sur l’Orbitale, sur la ville et sur l’arène pendant leurs dernières heures d’existence, comme si tout cela modifiait sa chimie corporelle. Il aurait pu se concentrer et s’obliger à se détendre, mais il n’en avait pas le temps. Il fallait qu’il retrouve Kraiklyn.

Il examina la populace bigarrée qui attendait les navettes un peu à l’écart, puis se remémora une des pensées de Kraiklyn : le commandant jugeait qu’il avait déjà gaspillé trop d’argent. Alors il détourna les yeux et les reporta sur le reste de la foule.

Et il était bien là. Le commandant de la Turbulence Atmosphérique Claire se tenait debout, les bras croisés et les pieds écartés, sa combinaison à demi recouverte par une cape grise, dans une file de gens attendant qui un bus, qui un taxi, à trente mètres de Horza. Celui-ci plongea vers l’avant et se pencha jusqu’à se retrouver au niveau du visage du géant, qu’il voyait donc à l’envers.

— Merci. Vous pouvez me reposer, à présent.

— Je n’ai pas de monnaie, gronda l’autre en se baissant.

La vibration produite par sa voix traversa tout le corps de Horza.

— Ça ne fait rien. Gardez tout.

Il sauta des épaules du géant et fila vers sa cible en évitant les gens sur son passage.

Il consulta le terminal qu’il portait au poignet gauche : il restait deux heures et demie avant l’explosion finale. Horza traversa la cohue en se faufilant entre les gens, en les poussant et en s’excusant tour à tour. Il vit en chemin un grand nombre de personnes consulter leur montre, leur terminal ou leur écran ; il entendit beaucoup de petites voix synthétiques caqueter l’heure, et beaucoup de voix humaines la répéter d’un ton angoissé.

Enfin il atteignit la file d’attente. Étonnamment disciplinée, songea Horza avant de remarquer que, là aussi, des gardes y mettaient bon ordre. Kraiklyn était presque arrivé en tête de file, où un autobus finissait de se remplir. Survoleurs et véhicules de surface attendaient derrière lui. Un garde tenant un notécran vint poser une question au commandant de la TAC, qui répondit en lui désignant un des appareils.

Horza contempla la procession et l’estima à plusieurs centaines de personnes. S’il y prenait place, il perdrait Kraiklyn. Il regarda autour de lui, cherchant un autre moyen de le suivre.

Quelqu’un lui rentra violemment dans le dos ; des cris et des voix s’élevèrent et, en se retournant pour voir ce qui se passait, le Métamorphe découvrit une pléiade d’individus vêtus de couleurs vives. Une femme masquée portant une robe argentée très moulante vociférait à l’adresse d’un petit homme aux longs cheveux dont l’habillement se composait en tout et pour tout de bandelettes vert foncé entrecroisées sur son corps, et qui la regardait d’un air perplexe. Elle lui lançait des hurlements incohérents, et se mit tout à coup à le gifler ; sous le regard des badauds, il battit en retraite en secouant la tête. Horza s’assura qu’on ne lui avait rien volé au moment du choc, puis chercha à nouveau un moyen de transport quelconque, un taxi vendant ses services à la criée.

Un aéro passa au-dessus de leurs têtes en lâchant une pluie de tracts rédigés dans une langue que Horza ne comprenait pas.

— … Sarble, dit à son compagnon un homme à la peau transparente au moment où tous deux sortaient tant bien que mal de la cohue et passaient à côté de Horza.

Tout en marchant, le premier s’efforçait de consulter un petit écran de terminal, et Horza entr’aperçut une chose qui le stupéfia. Il régla son propre terminal sur le même canal.

Il avait apparemment sous les yeux une vue de l’incident auquel il avait assisté dans l’auditorium, quelques heures plus tôt : la petite émeute qui avait éclaté sur la terrasse au-dessus de la sienne lorsque, selon la rumeur, Sarble l’Œil s’était fait prendre par les gardes. Horza fronça les sourcils et regarda son écran de plus près.

C’était bien le même endroit, le même incident ; celui qui avait filmé la scène se trouvait pratiquement au même endroit et à la même distance que lui-même sur le moment. Il grimaça et s’efforça de scruter l’écran, de saisir d’où cette image avait bien pu être prise. Puis elle disparut, et fut remplacée par divers instantanés représentant des créatures d’apparence excentrique en train de prendre du bon temps dans l’auditorium tandis que la partie de Débâcle suivait son cours en arrière-fond.

… Si je m’étais levé, songea Horza, si je m’étais rapproché un tant soit peu…

C’était la femme.

La femme aux cheveux blancs qu’il avait vue tout en haut de l’arène et qui manipulait sans arrêt son diadème. Elle se tenait sur sa terrasse, tout près de sa chaise longue à lui quand l’incident s’était produit. C’était elle, Sarble l’Œil. Sans doute le diadème recelait-il un appareil photo, sans doute l’homme qu’on avait arrêté n’était-il qu’un leurre, un agent.

Horza éteignit son écran. Il eut un sourire, puis secoua la tête comme pour chasser de ses pensées cette petite révélation qui ne lui était d’aucune utilité. Il fallait qu’il trouve un moyen de transport.

Il s’engagea d’un pas pressé dans la foule en se faufilant entre attroupements et files, cherchant du regard un véhicule libre, une porte ouverte, les yeux électroniques d’un taxi racoleur. Il entrevit la file d’attente où se trouvait Kraiklyn. Ce dernier se tenait devant la porte ouverte d’un véhicule de surface rouge et parlementait avec le chauffeur ainsi que deux autres personnes qui attendaient dans la queue.

Horza se sentait gagné par l’écœurement. Il se mit à transpirer. Il aurait voulu ruer, écarter de son chemin tous ceux qui se pressaient autour de lui. Puis il repartit en sens inverse. Décidément, il lui faudrait soudoyer quelqu’un pour pouvoir prendre place à la tête de la file où se trouvait Kraiklyn. Il n’en était plus qu’à cinq mètres lorsque celui-ci cessa de se disputer avec les autres et monta dans le taxi, qui s’éloigna aussitôt. Horza le suivit du regard, sentit le cœur lui manquer et serra les poings. À ce moment-là il aperçut la femme aux cheveux blancs. Elle portait un grand manteau bleu, mais sa capuche glissa comme la femme s’extrayait de la foule au bord du trottoir, où un homme de haute taille la prit par les épaules et fit un signe en direction de l’esplanade. Elle rabattit promptement sa capuche sur ses yeux.

Horza plongea la main dans sa poche et la referma sur son arme. Puis il s’avança vers le couple… juste au moment où un aéroglisseur noir mat aux courbes gracieuses surgissait de nulle part et, dans un sifflement, venait s’arrêter devant eux. La porte située sur son flanc pivota sur ses gonds et la femme qui n’était autre que Sarble l’Œil se pencha pour la franchir ; Horza s’avança promptement et lui tapota l’épaule. Elle se retourna brusquement. Son compagnon fit un pas vers Horza, qui pointa visiblement son arme à travers le tissu de sa poche. Voyant cela, l’autre s’immobilisa, hésitant ; la femme se figea, un pied dans l’encadrement de la porte.

— Je crois que nous allons dans la même direction, fit précipitamment Horza. Je sais qui vous êtes, ajouta-t-il en regardant la femme. Je suis au courant, pour l’objet que vous portiez sur la tête. Tout ce que je veux, c’est que vous m’ameniez au port. C’est tout. Et pas de scandale.

Il eut un mouvement de tête en direction des gardes postés en tête de la file d’attente.

La femme regarda son compagnon, puis Horza, et fit lentement un pas en arrière.

— D’accord. Après vous.

— Non, vous passez la première.

Horza fit bouger l’arme dans sa poche. La femme sourit, haussa les épaules et s’exécuta, suivie par l’homme de haute taille, et enfin par Horza.

— Qu’est-ce que c’est que ce… ? commença la personne qui tenait le volant, une femme chauve à l’air farouche.

— Un invité, répondit Sarble. Démarre.

L’aéroglisseur s’éleva dans les airs.

— Tout droit, dit Horza. Aussi vite que possible. Je cherche un véhicule à roues de couleur rouge.

Il sortit son arme de sa poche et pivota de manière à faire face à Sarble l’Œil et à son compagnon. L’aéroglisseur prit de la vitesse.

— Je t’avais bien dit qu’ils avaient diffusé tes images trop tôt, siffla l’inconnu d’une voix à la fois rauque et haut perchée.

Sarble se contenta de hausser les épaules. Horza sourit ; il jetait de temps en temps un regard par la vitre du taxi, observant la circulation autour d’eux, mais sans cesser de surveiller les deux autres.

— Je n’ai pas eu de chance, c’est tout, répondit-elle. À l’intérieur déjà, je n’arrêtais pas de tomber sur ce type.

— Alors vous êtes bien Sarble ? interrogea Horza.

La femme ne daigna ni lui répondre ni même se tourner vers lui.

— Écoutez, fit en revanche le grand inconnu. Nous allons vous amener au port, si c’est bien là que va la voiture rouge, mais surtout ne tentez rien. Nous nous battrons s’il le faut. Je n’ai pas peur de mourir.

L’homme semblait à la fois effrayé et furieux ; son visage au teint jaunâtre faisait penser à celui d’un enfant qui va se mettre à pleurer.

— Vous m’avez convaincu, répliqua Horza en souriant. Et maintenant, si nous essayions de repérer cette voiture rouge ? Trois roues, quatre portes, un chauffeur, trois passagers à l’arrière. On ne peut pas la manquer.

L’homme se mordit la lèvre. D’un petit mouvement de son arme, Horza lui fit signe de regarder vers l’avant.

— C’est celle-là ? demanda la conductrice.

Horza repéra la voiture en question, qui lui parut correspondre à ce qu’il cherchait.

— Oui. Suivez-la. Mais pas de trop près.

L’aéroglisseur ralentit un peu pour la laisser prendre de l’avance. Ils pénétrèrent dans la zone portuaire. On voyait au loin des grues et des portiques illuminés ; des véhicules terrestres, des survoleurs et même des navettes étaient garés çà et là, de part et d’autre de la route. La voiture rouge était maintenant juste devant eux ; elle suivait deux aérobus qui grimpaient péniblement une rampe d’accès en pente. Ils entamèrent à leur tour l’ascension ; le moteur de leur propre aéro peinait.

La voiture rouge quitta le circuit principal et obliqua vers un long tronçon de route incurvé ; de chaque côté miroitait une eau sombre.

— Alors, c’est vous ou ce n’est pas vous, Sarble ? demanda Horza à la femme aux cheveux blancs, qui refusa une fois de plus de se tourner vers lui. C’était vous, là-bas, à l’intérieur, oui ou non ? Ou bien faut-il en conclure que Sarble est en réalité plusieurs personnes ?

Les deux autres passagers gardèrent le silence. Horza se contenta de sourire en les observant attentivement, mais hocha la tête d’un air entendu. Dans l’habitacle de l’aéro, seul se faisait entendre le rugissement du vent.

La voiture quitta la route pour s’engager sur un boulevard entouré de barrières protectrices qui longeait de gigantesques portiques ainsi que des engins tout illuminés hauts comme des montagnes. Elle emprunta ensuite une route bordée d’entrepôts plongés dans l’ombre et ralentit aux abords d’un dock de taille modeste.

— Restez en arrière, ordonna Horza.

La conductrice chauve ralentit tandis que la voiture roulait le long du quai, sous les cages cubiques formées par les montants des grues.

Elle s’arrêta devant un bâtiment brillamment éclairé. Un motif lumineux encerclant sa partie supérieure affichait en plusieurs langues les mots : « Accès infrabase 54 ».

— Parfait. Arrêtez-vous là, fit Horza. (L’aéroglisseur s’immobilisa et s’abaissa sur sa jupe.) Merci.

Il descendit en prenant bien soin de ne pas tourner le dos aux deux autres.

— Vous avez été bien inspiré de ne rien tenter, s’emporta l’homme en hochant furieusement la tête ; ses yeux lançaient des éclairs.

— Je sais, répondit-il. Allez, au revoir !

Il adressa un clin d’œil à la femme aux cheveux blancs, qui cette fois-ci se retourna et leva un doigt ; il crut pouvoir interpréter le geste comme obscène. L’aéro s’éleva à nouveau dans les airs, fonça tout droit puis vira et repartit à toute allure par où il était venu. Horza reporta son regard sur l’entrée violemment éclairée du puits d’accès à l’infrabase, où se détachait la silhouette des trois passagers de la voiture rouge. Il crut en voir une se tourner vers le dock dans sa direction ; il n’aurait pu en jurer, mais préféra se fondre dans l’ombre de la grue qui se profilait au-dessus de sa tête.

Deux des silhouettes qui se tenaient auprès du tube d’accès disparurent à l’intérieur du bâtiment. La troisième, qui pouvait être Kraiklyn, s’éloigna à pied vers un côté du dock.

Horza rempocha son arme et se précipita à sa suite en passant sous une seconde grue.

Un vrombissement pareil à celui de l’aéroglisseur de Sarble – en plus sonore et en plus grave – retentit dans le dock.

L’extrémité du quai, celle qui donnait sur la mer, s’emplit de lumière et d’embruns : venu des vastes eaux sombres de la mer, apparut tout à coup un énorme véhicule sur coussin d’air répondant aux mêmes principes que l’aéroglisseur réquisitionné par Horza, mais beaucoup plus volumineux. Illuminés par la clarté des étoiles, par le reflet de la face diurne de l’Orbitale qui s’arquait dans le ciel et par les feux de l’embarcation proprement dite, des tourbillons d’embruns parés d’une luminescence lactée jaillirent dans les airs. L’imposant engin s’avança entre les parois du dock en faisant hurler ses moteurs. Derrière lui, vers le large, Horza distingua deux autres nuages d’embruns, éclairés de l’intérieur et par intermittence. Le premier navire arriva lentement à quai dans un véritable feu d’artifice. Horza vit à son bord une série de fenêtres derrière lesquelles des gens semblaient danser. Puis il reporta son attention sur le quai ; l’homme qu’il suivait montait les marches d’une passerelle surplombant le dock. Le Métamorphe s’élança en silence, plongea derrière les montants des grues et sauta par-dessus des enroulements d’épaisses haussières. Les lumières de l’hydroglisseur passèrent sur les noires superstructures des grues ; le hurlement des propulseurs et des impulseurs rebondissait d’une paroi à l’autre.

Comme pour faire encore ressortir le caractère un peu désuet de cette scène, un petit aéro – sombre, et silencieux si l’on exceptait le chuintement dû au déplacement d’air – passa en trombe au-dessus de sa tête et s’enfonça en un clin d’œil dans le ciel nocturne ; l’espace d’une seconde, il dessina un minuscule point noir qui se détacha contre l’anneau de la face éclairée de l’Orbitale. Horza lui accorda un rapide regard, puis revint à la petite silhouette perchée sur la passerelle, illuminée par les feux clignotants de l’hydroglisseur qui, sous ses pieds, continuait de se rapprocher majestueusement du quai. L’appareil qui venait juste derrière se mit en position pour entrer dans le dock à sa suite.

Horza parvint devant l’escalier de l’étroit pont suspendu. L’homme, qui marchait comme Kraiklyn et portait une cape grise, en avait parcouru près de la moitié. Horza ne voyait pas ce qui se trouvait de l’autre côté de l’eau, mais décréta qu’il avait de grandes chances de perdre sa proie s’il attendait pour se lancer dans la traversée qu’elle soit arrivée de l’autre côté. D’ailleurs, l’inconnu – Kraiklyn, peut-être – s’était certainement tenu le même raisonnement ; en effet, Horza était sûr qu’il se savait poursuivi. Le Métamorphe s’engagea sur la passerelle, qui se mit à osciller légèrement. Avec ses mille feux et son vacarme assourdissant, l’hydroglisseur géant était presque directement sous ses pieds, à présent ; l’air s’emplit de senteurs d’embruns arrachés aux eaux peu profondes du dock. L’homme ne se retourna pas vers son poursuivant, bien qu’il ait dû sentir ses pas ébranler le pont en même temps que les siens.

La silhouette parvint de l’autre côté et mit pied à terre. Horza la perdit de vue et se mit à courir, tendant son arme devant lui, enveloppé et trempé par les brusques geysers d’écume que soulevait sous ses pieds le véhicule à coussin d’air, d’où s’échappait une musique tonitruante qui couvrait même le bruit des moteurs. Il dérapa en arrivant au bout de la passerelle et dévala en toute hâte l’escalier en colimaçon qui redescendait vers le quai.

Quelque chose émergea des ténèbres, au pied des marches, et vint le heurter au visage. Presque aussitôt, il sentit un choc dans son dos et à la base de son crâne. Il atterrit sur une surface dure et, tout étourdi, se demanda ce qui venait d’arriver ; des faisceaux lumineux lui passaient sur le corps, l’air lui rugissait interminablement aux oreilles, et quelque part retentissait de la musique. Une vive lumière vint le frapper directement dans les yeux, et sa capuche fut repoussée vers l’arrière.

Il entendit un son étranglé : celui qu’émet un homme qui, arrachant une capuche, se retrouve confronté à son propre visage. (Qui êtes-vous ?) Si tel était bien le cas, alors cet homme était pour l’instant vulnérable, au moins pendant les quelques secondes où il resterait en état de choc (Qui suis-je ?)… Il réunit suffisamment de forces pour détendre brusquement une jambe tout en projetant ses bras vers le haut ; il attrapa un pan de tissu au moment même où son tibia rencontrait l’entrejambe de l’autre, qui parut passer par-dessus les épaules de Horza, basculant tête la première vers le bord du quai ; puis le Métamorphe se sentit pris par les épaules ; comme son agresseur à présent prisonnier s’écrasait au sol derrière lui, il se sentit attiré et…

Passa par-dessus bord. L’autre avait atterri juste à la limite du quai, puis avait roulé dans le vide, entraînant Horza à sa suite. Ils étaient en train de tomber.

Il eut conscience de passer de la lumière à l’ombre, et sentit qu’il agrippait toujours le manteau ou la combinaison de son adversaire, qui le tenait encore par l’épaule. Tombé… à quelle distance se trouvait le fond ? Le bruit du vent. Écouter le bruit du…

Un double impact. D’abord la surface de l’eau, puis quelque chose de plus dur ; une collision fracassante de membres et de fluide. L’eau était froide, sa nuque lui faisait mal. Il se débattit sans savoir très bien dans quel sens nager pour remonter à la surface, sonné par les coups qu’il avait reçus à la tête ; puis il se sentit tiré. Il lança un poing, heurta quelque chose de mou, puis se redressa et se retrouva debout, vacillant, dans un mètre d’eau au plus. Tout autour de lui régnait un chahut épouvantable : partout de la lumière, du bruit et des embruns, et aussi quelqu’un qui s’accrochait à lui.

Horza battit à nouveau des bras. Les embruns s’éclaircirent momentanément ; il entrevit la paroi du dock à deux ou trois mètres sur sa droite et, droit devant lui, l’arrière de l’hydroglisseur géant qui s’éloignait lentement, à une distance de cinq ou six mètres. Une puissante rafale d’air huileux et brûlant le fouetta ; il retomba dans l’eau en soulevant une gerbe d’éclaboussures. Les embruns l’enveloppèrent à nouveau. La main qui le retenait relâcha son étreinte, et il s’enfonça encore une fois dans l’eau.

Horza se releva juste à temps pour voir son ennemi s’enfoncer dans le sillage d’embruns de l’hydroglisseur, qui remontait pesamment vers le fond du dock. Il voulut courir, mais l’eau était trop profonde ; il dut progresser au ralenti, le torse penché afin que son poids l’entraîne en avant, et pousser de toutes ses forces sur ses jambes comme dans un de ces cauchemars où l’on s’efforce vainement de s’enfuir.

Exagérant son mouvement de balancier, il chercha désespérément à rattraper l’homme à la cape grise en ramant des deux mains pour gagner de la vitesse. La tête lui tournait ; son dos, son visage et son cou lui faisaient horriblement mal, sa vision était brouillée, mais au moins persistait-il à pourchasser sa proie. L’autre semblait en revanche plus pressé de s’enfuir que de se battre.

L’échappement syncopé de l’hydroglisseur qui continuait d’avancer perça une nouvelle trouée dans les embruns qui s’étendaient entre l’engin et les deux hommes, révélant une poupe carrée qui jaillissait de la jupe gonflée, trois bons mètres au-dessus de la surface de l’eau. L’homme en gris puis son poursuivant furent tour à tour frappés de plein fouet par une bouffée de gaz brûlants qui faillit les asphyxier. L’eau était à présent moins profonde. Horza se rendit compte qu’il pouvait remonter ses genoux assez haut pour accélérer l’allure. Tous deux se retrouvèrent encore une fois noyés dans le vacarme et les embruns et, l’espace d’un instant, le Métamorphe perdit sa proie ; puis la visibilité redevint claire et il vit que le gros véhicule se trouvait maintenant sur une surface de béton sec. Les hautes parois du dock s’élevaient de part et d’autre, mais il n’y avait presque plus d’eau ni d’embruns. Devant lui, l’homme remontait d’un pas mal assuré le court plan incliné qui sortait de l’eau – laquelle ne leur arrivait plus qu’aux chevilles – et débouchait sur le béton ; il trébucha, faillit tomber, puis se mit à courir péniblement derrière l’hydroglisseur, dont la progression sur la terre ferme, dans le canyon que formait le dock, s’accélérait sensiblement.

Dans un ultime éclaboussement, Horza sortit de l’eau et se lança sur les talons de l’homme ; il voyait encore sa cape grise, dont les plis détrempés battaient au vent.

L’inconnu trébucha à nouveau, s’écroula et roula sur lui-même. Au moment où il tentait de se relever, Horza lui tomba dessus ; tous deux firent un roulé-boulé. Il voulut le griffer au visage en profitant de ce que la lumière venait de derrière lui, laissant donc ses propres traits dans l’ombre, mais manqua son coup. L’autre lui expédia une ruade, puis essaya de se dégager. Horza se jeta sur les jambes de son adversaire et le fit à nouveau tomber. Le manteau mouillé claqua au-dessus de sa tête. Le Métamorphe rattrapa l’homme à quatre pattes et le fit rouler sur le dos.

C’était bien Kraiklyn. Il s’apprêta à lui décocher un coup de poing. Dans l’ombre du corps de Horza, qui masquait les lumières dans son dos, le visage pâle et glabre de l’homme à terre était déformé par l’épouvante ; derrière eux, un formidable grondement était en train de… Kraiklyn poussa un hurlement, les yeux rivés non pas sur l’homme dont le visage était identique au sien, mais sur ce qui venait derrière lui, au-dessus de lui… Horza fit volte-face.

Un monstre noir crachant des embruns se ruait vers lui ; des lumières brillaient très haut au-dessus de sa tête. Une sirène retentit, puis l’écrasante masse noire fut sur lui ; elle le heurta, l’aplatit au sol, lui comprima les tympans à force de bruit et de pression, de plus en plus forte, de plus en plus… Horza entendit un gargouillement ; il était en train d’écraser la poitrine de Kraiklyn. Tous deux étaient comme frottés sur le béton par un pouce de colosse.

Un autre hydroglisseur. Celui qui venait en deuxième position.

Subitement, dans une unique onde douloureuse qui le submergea des pieds à la tête, comme si quelque géant pourvu d’une brosse dure taillée à sa mesure tentait de le balayer d’un coup, le poids qui l’oppressait disparut. Il ne resta que les ténèbres absolues, un vacarme à vous faire éclater le crâne, et un courant d’air violent, turbulent, dont la pression était écrasante.

Ils se trouvaient sous la jupe du grand hydroglisseur qui avançait lentement au-dessus d’eux, à moins – il faisait trop noir pour distinguer quoi que ce fût – qu’il n’ait fait halte sur le tablier de béton, peut-être pour se poser, auquel cas il allait les broyer.

Un coup qui semblait faire partie intégrante du maelström de douleur ambiant résonna dans l’oreille de Horza et le fit basculer de côté dans le noir. Il roula sur le béton rugueux mais, dès qu’il le put, il se redressa sur un coude tout en calant une jambe contre le sol pour détendre l’autre dans la direction d’où était venu le coup de poing ; il sentit son pied entrer en contact avec quelque chose de mou.

Il se remit debout puis baissa brusquement la tête en repensant aux pales tournantes des impulseurs, qui devaient se trouver juste au-dessus de lui. Les remous d’air brûlant chargé d’odeurs d’huile le malmenaient telle une petite barque ballottée par une mer sans merci. Il avait l’impression d’être un pantin manipulé par un ivrogne. Il fit quelques pas en avant, les bras tendus, vacillant sur ses jambes, et percuta Kraiklyn. Ils faillirent tomber à nouveau et Horza lâcha son ennemi pour décocher un coup de poing au jugé dans l’espoir de l’atteindre à la tête. Sa main heurta durement une surface osseuse, mais il n’aurait su dire laquelle. Il bondit prestement en arrière, au cas où l’autre lui expédierait un coup de poing ou de pied en guise de représailles. Il sentait ses tympans craquer, sa tête céder au vertige, ses yeux vibrer dans leurs orbites ; il se crut sourd, puis sentit une série de coups lui marteler la poitrine et la gorge, l’étrangler et lui couper le souffle. Il discernait tout juste une faible bordure de lumière tout autour d’eux, comme s’ils se tenaient au centre exact du navire. Puis il distingua quelque chose, une ombre vague qui se profilait sur cette bordure, et se précipita vers elle. Horza projeta son pied, et là encore atteignit sa cible ; la forme sombre disparut.

Il fut soulevé de terre par un furieux courant d’air, fit la culbute, s’étala de tout son long sur le béton et vint s’arrêter contre Kraiklyn, tombé là suite à son dernier coup de pied. Un nouveau coup atterrit sur sa tête, mais il manquait de force et ne lui fit pas grand mal. Horza chercha à tâtons la tête de Kraiklyn et la trouva. Il la souleva, puis l’abattit à plusieurs reprises sur le béton. Kraiklyn se débattait, mais ses mains martelèrent en vain les épaules et la poitrine du Métamorphe. La zone de clarté visible derrière la silhouette au sol était en train de s’agrandir et de se rapprocher. Horza heurta une dernière fois la tête de Kraiklyn contre le sol, puis se jeta à plat-ventre. Le bord arrière de la jupe du navire passa sur lui en l’éraflant ; ses côtes lui faisaient mal, et il avait l’impression que quelqu’un se tenait debout sur son crâne. Puis tout fut fini et ils se retrouvèrent en plein air.

Le colossal navire poursuivit sa route en tonnant, traînant toujours son sillage d’embruns. À cinquante mètres en arrière, un autre hydroglisseur s’avançait dans leur direction.

Kraiklyn gisait, immobile, à quelque distance de Horza.

Ce dernier se mit à quatre pattes, se dirigea tant bien que mal vers sa victime et observa ses yeux, qui bougeaient légèrement.

— Je suis Horza ! Horza ! hurla-t-il, mais lui-même ne s’entendait pas.

Alors il secoua la tête et, tandis qu’une grimace frustrée se peignait sur des traits qui n’étaient même pas les siens, sous les yeux du vrai Kraiklyn – qui ne devait plus jamais rien voir d’autre –, il attrapa la tête de son ennemi et la tordit d’un seul coup, rompant le cou du commandant de la TAC comme il avait rompu celui de Zallin.

Il réussit à traîner le cadavre sur un côté du dock et à s’écarter juste à temps pour éviter le troisième et dernier hydroglisseur, dont la jupe majestueuse s’enfla à deux mètres à peine de l’endroit où il s’écroula, haletant et suant, le dos contre le béton humide et froid du dock, la bouche ouverte et le cœur battant à grands coups.

 

Il déshabilla Kraiklyn, lui prit sa cape et sa combinaison claire puis les enfila après avoir enlevé sa propre blouse déchirée et son pantalon ensanglanté. Il s’empara également de la bague que le commandant portait au petit doigt de la main droite. Puis il se mit à tirer sur la peau de ses poignets, juste à la jonction de la paume. Une pellicule se détacha comme une mue, du poignet jusqu’au bout des doigts. Alors il essuya la paume droite de Kraiklyn au moyen d’un pan de tissu humide, et appliqua la dépouille en appuyant de toutes ses forces. Ensuite il la retira précautionneusement et la remit en place sur sa propre main. Pour finir, il répéta l’opération avec sa main gauche.

Il faisait froid, et le tout lui demanda beaucoup de temps et d’efforts. Enfin, tandis que les trois gros véhicules à coussin d’air arrivaient à quai et débarquaient leurs passagers à quelque cinq cents mètres de lui, Horza gagna en chancelant une échelle métallique scellée dans le béton du dock et, les mains tremblantes, les pieds défaillants, se hissa jusqu’au sommet.

Il resta un instant immobile, puis se releva, remonta l’escalier en spirale et traversa tant bien que mal la passerelle suspendue ; parvenu de l’autre côté, il entra dans le bâtiment circulaire qui donnait accès au tube. Les voyageurs enthousiastes et vêtus de couleurs gaies, qui venaient de descendre des trois hydroglisseurs sans pour autant renoncer à leur humeur fêtarde, baissèrent le ton en le voyant attendre avec eux, devant les portes de l’ascenseur la capsule qui les emmènerait à l’astroport situé cinq cents mètres sous leurs pieds. Horza n’entendait pratiquement plus rien, mais leurs regards anxieux ne lui échappèrent pas, pas plus que le malaise suscité par son visage meurtri tout couvert de sang, et ses vêtements lacérés, détrempés.

La cabine apparut enfin. Les noceurs s’y entassèrent ; trébuchant, prenant appui sur la paroi, Horza entra à son tour. Quelqu’un voulut l’aider, le soutenir en le prenant par le bras ; il remercia d’un hochement de tête. On lui parla, mais il ne perçut qu’une espèce de grondement lointain. Il s’efforça de sourire et de hocher à nouveau la tête. L’ascenseur se mit à descendre.

À leur arrivée sur l’infraface, ils furent accueillis par ce qu’ils prirent pour un immense ciel étoilé. Mais Horza ne tarda pas à se rendre compte que ce qu’il avait sous les yeux était en réalité la partie supérieure, toute piquetée de lumières, d’un astronef dépassant en taille tout ce qu’il avait jamais vu, tout ce dont il avait jamais entendu parler ; ce devait donc être le VSG Finalités de l’Invention. Mais que lui importait le nom du vaisseau de la Culture, du moment qu’il arrivait à monter à bord et à retrouver la TAC.

L’ascenseur s’était immobilisé dans un tube transparent au-dessus d’une zone de réception sphérique suspendue dans le vide absolu, à une centaine de mètres sous la base de l’Orbitale. De cette sphère partaient une série de passerelles et de tunnels qui se déployaient dans toutes les directions pour rejoindre les portiques d’accès et les docks, ouverts ou fermés, de la zone portuaire proprement dite.

Les portes des docks couverts, où l’on pouvait réparer les vaisseaux en zone pressurisée, étaient toutes ouvertes. Quant aux docks ouverts, où les astronefs venaient simplement s’amarrer et auxquels on devait accéder par un sas, ils étaient tous déserts. En lieu et place de tout cela, exactement au-dessous de la zone sphérique mais aussi de la zone portuaire dans son ensemble, se trouvait l’ex-Véhicule Système Général de la Culture Finalités de l’Invention. Sa surface interminable et plate s’étendait sur des kilomètres et des kilomètres dans tous les sens, masquant presque entièrement l’espace et les étoiles, mais engendrant son propre petit scintillement à chaque point de contact avec les divers tubes d’accès et tunnels du port.

Prenant conscience des invraisemblables dimensions de l’engin, il se sentit pris de vertige. Il n’avait encore jamais vu de VSG ; quant à monter à bord… Bien sûr, il connaissait leur existence et savait à quoi ils servaient, mais de là à prendre toute la mesure de l’exploit technique qu’ils représentaient… Celui qu’il avait sous les yeux ne faisait théoriquement plus partie de la Culture ; Horza le savait démilitarisé, dépouillé de la plus grande partie de son équipement, et privé du Mental – ou des Mentaux – qui, en temps normal, en aurait assuré le fonctionnement. Néanmoins, la structure seule restait impressionnante.

Les Véhicules Systèmes Généraux étaient de véritables mondes encapsulés, et non de simples vaisseaux spatiaux de taille très supérieure à la moyenne ; c’étaient des habitats, des universités, des usines, des musées, des chantiers navals, des bibliothèques, et même des galeries d’expositions itinérantes. Ils représentaient la Culture – ils étaient la Culture. La quasi-totalité de ce qui pouvait se faire au sein de la Culture pouvait se faire à bord de ses VSG. Ceux-ci savaient réaliser tout ce qui entrait dans les capacités de la Culture, contenaient tout le savoir accumulé par elle, transportaient ou pouvaient fabriquer n’importe quel équipement spécialisé en vue de n’importe quelle éventualité, et produisaient constamment des astronefs plus modestes : le plus souvent des Unités de Contact Général et, depuis quelque temps, des navires de guerre. Leurs effectifs se chiffraient au minimum par millions, et l’augmentation régulière de leur population alimentait en équipages leur progéniture.

Autonomes à tout point de vue, productifs et – du moins en temps de paix – lieux d’un constant échange d’information, ils étaient les ambassadeurs de la Culture, ses citoyens les plus en vue, ses éléments d’artillerie lourde dans le domaine technologique et intellectuel. Nul besoin, quand on se trouvait dans un coin reculé de la galaxie, d’entamer un long voyage vers l’une des planètes-mères de la Culture pour s’émerveiller de l’envergure et de la formidable puissance de celle-ci ; les VSG vous apportaient tout cela à votre porte…

Horza suivit de petits groupes aux vêtements bigarrés à travers un hall d’accueil bourdonnant d’activité. On y voyait quelques individus en uniforme, mais qui n’arrêtaient personne. Horza se sentait un peu étourdi ; il avait l’impression de n’être qu’un passager dans son propre corps. Mais le marionnettiste ivre dont il s’était un peu plus tôt senti le jouet avait quelque peu dessoûlé, et le guidait à présent entre les attroupements vers la porte d’un nouvel ascenseur. Il voulut secouer la tête pour s’éclaircir les idées, mais découvrit que cela lui faisait mal. Il recouvrait peu à peu l’ouïe.

Il regarda ses mains, puis se dépouilla de la peau-empreinte de ses paumes en les frottant contre les revers de son costume, jusqu’à ce qu’elle forme un rouleau et se détache pour tomber sur le sol du couloir.

En sortant de ce second ascenseur, ils se retrouvèrent à bord de l’astronef. Les autres se dispersèrent au gré de spacieux couloirs aux tons pastel dont le plafond était très haut. Horza regarda d’un côté, puis de l’autre, tandis que la cabine remontait avec un chuintement vers la sphère d’accueil. Un drone de petite taille vint dans sa direction en flottant dans les airs. Il avait la forme et la taille d’un sac à dos, et Horza l’observa prudemment en se demandant s’il émanait ou non de la Culture.

— Pardonnez-moi, mais… est-ce que tout va bien ? s’enquit la machine d’une voix énergique, mais plutôt amicale.

Horza eut peine à l’entendre.

— Je suis perdu, répondit-il trop fort. Perdu, répéta-t-il un ton plus bas, ce qui fit qu’il ne s’entendit presque plus lui-même.

Il s’avisa qu’il oscillait légèrement sur place, et sentit l’eau couler dans ses bottes et s’égoutter de sa cape détrempée sur la surface moelleuse et absorbante du sol.

— Où désirez-vous aller ? demanda le drone.

— Je cherche un vaisseau appelé… (Envahi par un désespoir imprégné de lassitude, Horza ferma les yeux. Il n’osait pas révéler le vrai nom du navire.) L’Esbroufe du Mendiant, termina-t-il.

Le drone se tut une seconde, puis répondit :

— Je regrette, je ne crois pas que nous ayons à bord un navire de ce nom. Peut-être se trouve-t-il dans la zone portuaire proprement dite, et non sur le Finalités.

— Il s’agit d’un vieux cuirassé d’assaut hronish, précisa Horza d’un ton las en cherchant du regard un endroit où s’asseoir.

Il finit par repérer des sièges encastrés dans le mur à quelques mètres de là, et partit dans cette direction. Le drone lui emboîta le pas et descendit dans les airs au moment où l’autre s’assit, afin de se trouver à nouveau à hauteur de ses yeux.

— Il a une centaine de mètres de long, reprit le Métamorphe qui, à ce stade, ne se souciait plus de révéler quoi que ce fût. Il était en réparation chez un armateur du port ; ses unités-gauchissement étaient endommagées.

— Ah ! Il me semble savoir de quel vaisseau vous voulez parler. Il est amarré plus ou moins à la verticale de l’endroit où nous nous trouvons actuellement. Je n’ai pas son nom en archives, mais à mon avis, c’est bien lui que vous cherchez. Vous y arriverez tout seul, ou vous préférez que je vous conduise ?

— Je ne sais pas si j’en suis capable, répondit Horza avec sincérité.

— Veuillez patienter un instant. (Le drone resta quelques secondes suspendu dans les airs en face de Horza, puis déclara :) Très bien, suivez-moi. Il y a un transtube par là, au niveau inférieur.

La machine recula et indiqua la direction qu’ils devaient prendre en étendant un champ brumeux qui sortit de sa coque. Horza se leva et partit à sa suite.

Ils descendirent par un petit puits anti-g ouvert, puis traversèrent une vaste zone dégagée où étaient garés certains des véhicules à roues et à jupe dont on se servait sur l’Orbitale.

— Juste quelques échantillons. Pour la postérité, l’informa le drone.

Il ajouta que le Finalités abritait également un Mégavaisseau dans l’un de ses docks Généraux, treize kilomètres plus bas, tout au fond de l’énorme appareil. Horza ne sut s’il fallait vraiment le croire.

À l’autre bout du hangar, ils empruntèrent un nouveau couloir, puis pénétrèrent dans un cylindre d’environ trois mètres de diamètre sur six de longueur, qui déroula son panneau de fermeture, fit une brusque embardée et se retrouva instantanément aspiré par un tunnel plongé dans l’obscurité. L’intérieur était baigné d’une lumière tamisée. Le drone lui expliqua que les fenêtres en étaient occultées car, à moins d’en avoir l’habitude, les voyages en capsule à travers un VSG pouvaient se révéler pénibles, à la fois à cause de la vitesse et des changements de direction abrupts, que l’œil percevait mais que le corps ne ressentait pas. Horza se laissa lourdement choir sur un des sièges pliants qui s’offraient à lui au centre de la capsule, mais le trajet ne dura que quelques secondes.

— Nous y voilà. Minidock 27492, au cas où vous auriez à nouveau besoin de vous y rendre. Intra-niveau S-10-droit. Au revoir.

La porte de la capsule se déroula à nouveau. Horza lança un salut de la tête au drone et sortit de l’engin pour se retrouver dans une galerie aux parois rectilignes et transparentes. La porte se ferma et la machine disparut. Il crut la sentir passer devant lui en un éclair, mais à une vitesse telle qu’il n’aurait pu en jurer. De toute façon, sa vision demeurait floue.

Il tourna la tête vers la droite. Au-delà des parois de la galerie, le regard plongeait dans une atmosphère limpide. Sur des kilomètres de profondeur. On distinguait tout en haut une sorte de plafond, avec quelques traces d’écharpes nuageuses. Quelques minuscules appareils se déplaçaient çà et là. À hauteur de ses yeux, et suffisamment loin pour que le panorama lui parût vaste et légèrement brumeux, se trouvaient une infinité de hangars superposés – hangars, docks, quais, quel que fût le nom qu’on leur donnait ils emplissaient son champ de vision sur une surface de plusieurs kilomètres carrés ; l’échelle de l’ensemble lui donna le vertige. Il sentit son cerveau marquer une espèce de temps d’arrêt et dut cligner des yeux en se secouant ; mais le spectacle ne disparut pas pour autant.

Les appareils se mouvaient de-ci, de-là, des lumières s’allumaient ou s’éteignaient, une couche nuageuse située plus bas rendait la perspective encore plus brumeuse ; tout à coup, quelque chose passa à vive allure le long de la galerie où se tenait Horza. Un vaisseau, qui mesurait bien trois cents mètres de long. L’appareil se maintint quelques instants à niveau, puis plongea et vira à gauche au loin en décrivant une courbe gracieuse pour s’enfoncer enfin dans un autre couloir, vaste et brillamment éclairé, qui semblait croiser à angle droit celui que contemplait Horza.

Dans la direction opposée, c’est-à-dire celle d’où était venu le vaisseau, se dressait un mur apparemment uniforme. Horza l’inspecta plus soigneusement et se frotta les yeux : le mur arborait en fait un réseau de points lumineux disposés dans un certain ordre. Des milliers et des milliers de fenêtres, de lampes et de balcons. Des aéros plus petits en sillonnaient la surface, et d’infimes points signalant des capsules de transtube allaient et venaient verticalement.

Horza ne pouvait en voir davantage. Il se tourna vers la gauche et aperçut un court plan incliné passant sous le tube de la capsule. Il s’y engagea en trébuchant et pénétra dans l’espace confortablement restreint d’un Minidock qui mesurait seulement deux cents mètres de long.

 

Horza eut envie de pleurer. Le vieux navire reposait sur ses trois pieds courtauds au beau milieu de la plate-forme, tout entouré de pièces détachées éparses. Il n’y avait personne d’autre en vue, rien que du matériel. La TAC avait l’air vieille et tout esquintée, mais intacte et d’un seul tenant. Manifestement, les travaux étaient soit achevés, soit pas encore commencés. Le principal ascenseur de la soute était en position basse et reposait sur la surface lisse et blanche du dock. Horza s’en approcha et remarqua une échelle légère donnant accès à l’intérieur violemment éclairé de la soute proprement dite. Un minuscule insecte se posa fugitivement sur son poignet. Le Métamorphe le balaya du geste au moment où il s’envolait. Quelle légèreté de la part de la Culture, songea-t-il, de tolérer un insecte à bord d’un de ses impeccables vaisseaux ! Il était vrai que, officiellement du moins, le Finalités n’appartenait plus à la Culture. Horza gravit péniblement l’échelle, gêné par son manteau gorgé d’eau et accompagné par un concert de gargouillements issus de ses bottes.

La soute répandait une odeur familière, bien qu’elle parût étrangement spacieuse sans la navette qu’elle abritait d’ordinaire. Là non plus il n’y avait personne. Il prit l’escalier montant vers le secteur habitation, puis emprunta le couloir du mess en se demandant qui avait survécu, qui avait péri, et quels changements s’étaient produits, en admettant qu’il y ait eu des changements. Trois jours seulement s’étaient écoulés, mais il avait l’impression d’être parti depuis des années. Il avait presque atteint la cabine de Yalson lorsque la porte s’ouvrit à la volée.

La tête blonde de Yalson apparut, et une expression de surprise teintée de joie commença à se peindre sur ses traits.

— Ho… ! fit-elle.

Puis elle s’interrompit, le contempla en fronçant les sourcils, secoua la tête en marmottant quelques mots, puis rentra la tête dans sa cabine.

Horza s’était figé sur place. Il se réjouit de la savoir en vie, et se rendit simultanément compte de son erreur : il n’avait pas marché comme Kraiklyn. Il s’était laissé aller à sa démarche naturelle, et Yalson l’avait reconnue. Une main fit son apparition sur le montant de la porte ; la jeune femme enfilait une tunique légère. Puis elle sortit et vint se planter au milieu du couloir, observant les mains sur les hanches celui qu’elle prenait pour Kraiklyn. Son visage mince et dur exprimait le souci, mais par-dessus tout la prudence. Horza cacha derrière son dos la main à laquelle il manquait un doigt.

— Mais qu’est-ce qui t’est arrivé, bon sang ? demanda-t-elle.

— Je me suis battu. Pourquoi, de quoi j’ai l’air ?

La voix était réussie. Ils restèrent là à se dévisager.

— Si tu as besoin d’aide…, commença-t-elle.

Mais Horza secoua la tête.

— Je peux me débrouiller.

Yalson opina, un demi-sourire aux lèvres, tout en le détaillant de la tête aux pieds.

— C’est ça. Eh bien, débrouille-toi, alors. (Elle pointa un pouce par-dessus son épaule, indiquant le réfectoire.) Ta nouvelle recrue vient juste d’apporter ses affaires à bord. Elle t’attend au mess, mais si tu te montres dans cet état, il se pourrait qu’elle change d’avis.

Horza acquiesça. Yalson haussa les épaules, puis tourna les talons et remonta le couloir avant de traverser le mess en direction de la passerelle. Horza la suivit.

— Notre glorieux commandant de bord, annonça-t-elle en passant dans la salle.

Horza hésita devant la porte de la cabine de Kraiklyn, puis poursuivit son chemin afin d’aller passer la tête par la porte du mess.

Une femme était assise à l’autre extrémité de la grande table, ses jambes croisées reposant sur une chaise en face d’elle. Au-dessus de sa tête, l’écran était allumé, comme si elle venait à peine d’en détacher son regard. Il affichait une vue d’un Mégavaisseau tout entier soulevé hors de l’eau par des centaines de petits remorqueurs aériens rassemblés sous son ventre et le long de ses flancs. On reconnaissait aisément en eux d’antiques engins de la Culture. Mais la femme s’était détournée de ce spectacle et regardait dans la direction de Horza lorsque celui-ci vint jeter un coup d’œil dans le mess.

Elle était mince, grande, pâle. Manifestement en pleine forme physique, elle commençait à peine à montrer de la surprise lorsque ses yeux noirs se posèrent sur le visage qui venait d’apparaître à la porte. Elle portait une combinaison légère dont le casque gisait sur la table devant elle. Un bandana rouge était noué autour de sa tête, sous la racine de ses cheveux roux coupés court.

— Ah, commandant Kraiklyn ! fit-elle en reposant les pieds par terre avant de se pencher en avant, le visage empreint d’un mélange de stupéfaction et de pitié. Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

Horza voulut parler, mais tout à coup sa gorge était sèche. Il n’en croyait pas ses yeux. Ses lèvres remuèrent, et il les humecta d’un coup de langue, qui elle aussi lui parut sèche. La femme fit mine de se lever de table, mais d’un geste de la main il lui intima l’ordre de rester où elle était. Alors elle se rassit lentement, et il réussit à articuler :

— Tout va bien. À plus tard. Vous… vous restez là pour le moment.

Puis il se détacha du chambranle et revint d’un pas mal assuré vers la cabine de Kraiklyn. Sa bague s’ajusta dans l’orifice de la porte, qui s’ouvrit toute grande. Le Métamorphe faillit s’écrouler dans la pièce.

Dans un état proche de la transe, il referma la porte et resta un instant immobile, les yeux rivés à la cloison qui lui faisait face ; puis, lentement, il s’assit par terre.

Il avait conscience d’être encore un peu sonné, il savait que sa vision restait floue, qu’il n’entendait toujours pas très bien. Il se rendait bien compte que la chose était vraiment peu probable, et que s’il ne se trompait pas, les événements prenaient décidément une bien mauvaise tournure pour lui.

Mais il était sûr, absolument sûr de son fait. La même certitude qu’il avait éprouvée en voyant Kraiklyn monter la rampe inclinée menant à la table de Débâcle, là-bas, dans l’arène.

Comme s’il n’avait pas subi assez de chocs pour la soirée, le spectacle de cette femme assise à la table du mess avait réussi à le rendre muet et à paralyser son esprit. Qu’allait-il faire maintenant ? Il se sentait incapable de réfléchir. Le traumatisme continuait de résonner dans sa tête ; et l’image en restait obstinément imprimée sur sa rétine.

La femme du mess était Pérosteck Balvéda.

Une forme de guerre
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